Paris, 3 février 1949
Mon cher vieux,
Je passe le plus clair de mon temps en la compagnie des gens de la
chanson. Inutile de nous étendre sur leur mentalité. Entouré de cinquante
personne des trois sexes, je me rends à cette évidence : je suis seul. Ils
n’existent pas. Les subir m’est pénible. Deux chansons ont été retenues, mais
le plus important reste à faire : trouver une vedette pour lancer ça et en faire
un succès. La vie devient de plus en plus dure. Nous avons absorbé le
montant de ton mandat. Jeanne n’a plus rien à nous offrir et quelquefois elle
en souffre affreusement. Moi je n’ai besoin de rien. Mais Jeanne a des besoins
pour moi. Rien ne lui est plus douloureux que de ne pouvoir donner. J’aurais
une maison tranquille, j’y serais seul, peu m’importerait la mauvaise humeur de
mon ventre. Mais Jeanne est dans la misère à cause de mes dons poétiques. C’est très choquant. Robin est le
seul type que je peux taper actuellement. Or, pour des raisons dont il
ne saurait être question ici (et que tu connaîtras quelque jour) je me refuse à
le faire. Malgré notre pauvreté, je ne veux pas que tu nous envoies de l’argent
: tu as assez à faire de ton côté. D’ailleurs il me faudrait t’accuser
réception de tes mandats. Tu vois cela d’ici : je dépense l’argent du mandat
pour te remercier du mandat. C’est amusant comme toute absurdité ! Perds
également, je te prie, cette manie de me demander ce que je pense de ceci que
tu as écrit et de cela que tu n’écris pas. Ignores-tu ton incapacité à écrire
quoi que ce soit qui ne m’agrée point ? Philosophe exténuant !
La philosophie
m’ennuie toujours autant. Que tu le veuilles ou non, elle sent le professeur,
le didactisme, la dialectique. Que veux-tu que je fasse de ces
architectures de la raison ?
Comment se fait-il que tu ne saches pas par cœur Les enfants qui chapardent des crânes terreux ? J’en suis très
surpris, car je t’en croyais l’auteur ! Si tu continues de la sorte, je
t’adresse une lettre de « rupture » à la façon d’Allaire : « J’ai longuement
réfléchi... nous ne pouvons plus nous fréquenter... etc. etc. » J’ai découvert Il n’y a pas d’amour heureux d’Aragon.
Excellente chose.
Je relis aussi Rimbaud. Ce génie m’accapare (« Qu’est-ce que je vais
faire là-bas ? Je ne sais pas me tenir, je ne sais pas parler... »). Corne
d’Auroch meurt d’ennui. Il s’ennuierait dans les étoiles. Dernièrement, je lui
ai envoyé ta phrase transposée (le fameux « Il n’est pas Protée comme je
l’avais cru tout d’abord ») . J’ai écrit : « On a cru qu’il avait les grandes
eaux de Versailles dans la tête : c’était celles du robinet ». Il semble content de cette trouvaille.
L’encre baisse dans
mon encrier. À mon tour, je vais prendre la surface de l’eau pour
écritoire. Rien ne nous aura été épargné et c’est très bien ainsi. Nous pourrons mourir en souriant.
J’étudie la musique. Non, ton Beethoven ne m’intéresse pas. Que veux-tu
que je te dise d’un Dieu de la musique ? D’ailleurs, l’orchestration me paraît peu compatible avec
l’incantation. Je t’embrasse.
Georges [Brassens]
querida, li a carta atentamente, mas creio que não compreendi. Não sei se ele está a brincar ou a usar de ironias. Não tenho o contexto. Parece também que a ironia encobre a amargura. Não fica claro se ele gosta, ou não, de Rimbaud e de Beethoven. Abraços
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